L’évaluation par compétence au service des apprentissages

Contexte :

J’ai été stagiaire en responsabilité en 2006 et dès cette entrée dans le métier, j’ai été formée à l’IUFM (actuellement INSPE) pour évaluer et construire mes outils en prenant en compte les compétences. 

Cela ne m’a donc jamais perturbée ou obligée à changer radicalement mes pratiques comme ce fût le cas des collègues qui n’en avaient pas entendu concrètement parler avant 2016 et la réforme du collège …

Au moment de cette réforme, j’ai souhaité abandonner complètement les notes et n’évaluer que par compétences car la double évaluation était une vraie usine à gaz et ne permettait pas de vraiment faire entrer les élèves dans le système. Ben oui, les élèves sont trop habitué.e.s à comparer leurs notes à la remise de l’évaluation et cela occulte tout le travail fait par ailleurs sur la progression ou les feedbacks. Et tant qu’à refaire tous les cours de tous les niveaux, autant en profiter pour changer mes pratiques en profondeur, pour coller davantage à mes élèves de REP et à ma personnalité. Je me suis entretenue à ce moment là avec mon IA-IPR pour avoir son avis sur la question. Elle m’a indiqué qu’effectivement, je pouvais abandonner les notes. Seule condition à cela : avoir une harmonie au niveau du bulletin trimestriel et donc adopter le même système que mes collègues pour celui-ci. J’ai donc trouvé un moyen de calculer une note en fin de trimestre pour les niveaux de classe qui le nécessitaient (en 6ème, tout le monde fonctionne en compétences désormais dans mon collège).

Articuler la programmation annuelle en fonction des compétences

La première étape dans ma “révolution pédagogique” que constituait l’abandon des notes, a été de choisir et de répartir les compétences sur l’année en lien avec les programmes. J’ai procédé en plusieurs étapes :

  • lister les compétences fondamentales à évaluer

J’ai dû réfléchir à celles qui me semblaient indispensables et celles qui pouvaient être en option. Attention, ce n’est parce que je n’évalue pas une compétence dans l’année qu’elle n’est pas travaillée… J’ai dû aussi faire attention à formuler ces compétences pour qu’elles soient clairement indentifiables et compréhensibles par mes élèves de 6e et 5e de REP, avec une très faible richesse de vocabulaire pour nombre d’entre elles et eux. 

  • faire correspondre les compétences évaluées dans un trimestre et les notions

Il me fallait identifier les compétences qui sont assez spécifiques pour être associées à un chapitre en particulier. Par exemple, pour la compétence “étudier un graphique” en 5è, je me suis dis que les chapitres sur les climats pouvaient particulièrement s’y prêter, de même que celui sur le changement global. J’allais trouver de nombreux graphiques à exploiter en classe.

Pour la compétence “utiliser le matériel pour réaliser une manipulation” il fallait que je regroupe dans un même trimestre les TP qui comprenaient des dissections ou la mise en œuvre de protocoles que je leur mettais à disposition (et non pas ceux qui étaient à concevoir car cela correspond à une autre compétence…).  

  • sélectionner 6 à 10 compétences par trimestre

Pour que le système fonctionne comme je l’avais imaginé, il fallait identifier seulement quelques compétences qui seraient évaluées chaque trimestre. Sinon, il m’aurait été impossible de permettre aux élèves d’être évalué.e.s plusieurs fois pour chacune d’elles (au moins 3 fois). 6/8 compétences, c’est l’idéal. Je suis montée à 10 au premier trimestre car il y a des compétences liées au “métier d’élève” qui se travaillent sans une activité dédiée (faire ses devoirs, avoir ses affaires, respecter les règles de la classe, utiliser l’ENT, participer en classe …) 

Le passeport de compétences

J’ai crée un document que je distribuais au début de chaque chapitre, et qui décrivait les compétences que j’allais évaluer. Par la suite, j’ai regroupé l’ensemble dans un passeport de compétence, un livret format A5, constitué de 6 feuilles A4 pliées.

Pour réaliser ce passeport, j’ai dû avancer par étapes…

  • conception des échelles descriptives

C’est vraiment l’étape qui a été la plus formatrice pour moi au niveau professionnel. Réfléchir au niveau de maitrise de la compétence et donc des étapes de son acquisition oblige à identifier les freins et les “nœuds” qui peuvent être des obstacles pour les élèves. C’est un exercice difficile, qui m’a pris beaucoup, beaucoup, beaucoup de temps. J’ai modifié certaines échelles à l’usage, j’en ai recommencé d’autres complètement, j’ai aussi échangé avec mon collègue de SVT …

  • présentation des échelles descriptives

J’ai choisi de représenter les échelles vraiment sous l’aspect d’un escalier avec des marches car j’utilise souvent la comparaison avec mes élèves, de gravir les marches pour atteindre l’objectif. J’ai décidé d’utiliser les dénominations “débutant, apprenti, confirmé et expert” car cela était plus lisible pour mes élèves et plus respectueux selon moi. Quand on découvre une compétence, il est normal d’être débutant, la notion de maitrise insuffisante allait à l’encontre de mon idée de progression au fil des essais. 

J’ai ajouté une année des petits dessins dessous, pour engager mes élèves de 6e qui allaient, j’en étais sûre, aimer ce côté visuel de la progression. Quand je les ai récupérés en 5è, iels ont tou.te.s réclamé les dessins sur les échelles, alors j’ai décidé de les conserver pour tous les niveaux. 

  • utilisation en classe

Le passeport permet aux élèves de savoir en temps réél où iels en sont dans leurs progression de la maitrise de chacune des compétences. Iels reportent les résultats obtenus au fil des évaluations; faites en classe lors des différentes activités, en cochant les cases. A la fin de chaque chapitre, je ramasse leur cahier et c’est l’occasion pour les élèves et moi, de faire un bilan de leurs acquisitions. Voir l’article sur ce sujet en complément.  

  • exemple de passeport de compétences

J’ai longuement hésité à partager mes passeports de compétences. Non pas par manque d’altruisme, bien au contraire ! Je pense que prendre le temps de construire cet outil est tellement intéressant que je trouve dommage de couper cette étape. C’est vraiment celle qui a fait de moi l’enseignante que je suis.

Alors si vous souhaitez vraiment progresser là où c’est primordial, ne cliquez pas sur le lien ci-dessous ! Car même en étant enseignant.e d’une autre discipline, plusieurs compétences transversales pourraient venir limiter votre inventivité…

Passeport de compétences des 6è

Passeport de compétences des 5è

Des exercices déclinés selon les 4 niveaux de maitrise de la compétence

Pour vraiment aller au bout de cette démarche, il fallait que les élèves puissent travailler la compétence au niveau de maitrise juste au dessus de ce qu’iels savaient déjà faire. J’ai donc décidé de créer des aides voire même des activités complètes de niveaux différents, afin que les élèves puissent intégrer les critères de réussite au fur à mesure de leurs essais. Un peu à la façon des ceintures de compétences sauf que le niveau de passage ne suit pas forcément les différentes couleurs du blanc au noir. Un.e élève peut très bien valider directement le niveau confirmé voire même expert s’iel est en réussite sans aide. Cela permettait de plus facilement engager mes élèves dans les apprentissages car le manque de persévérance et le sentiment de non compétence est très fort dans mon établissement. Là, j’ai des élèves qui essaient, qui font et c’est un grand pas pour certain.e.s !

Vous pouvez retrouver des exemples d’activités avec les aides dans les ressources que je partage, je dépose l’ensemble des chapitres déjà traités en classe.

Au départ, en fonctionnement “classique”, je disposais des bannettes avec les aides disponibles pour l’activité faite en classe. Les élèves se déplaçaient pour aller chercher les aides dont iels avaient besoin.

Désormais, en classe autonome, l’élève peut me demander une aide si iel est bloqué.e ou c’est moi qui peut donner une aide au moment où je passe voir un.e élève qui a terminé et m’appelle pour vérifier son travail. Les aides sont rangées dans mon classeur de correction, rangées par activité, vous pouvez en savoir plus sur cette organisation dans l’article dédié.

Evaluation formative et ... c'est tout !

  • tout un tas de questions

Changer l’évaluation, pour en faire un outil pour apprendre, passe aussi selon moi par le changement de regard sur ses modalités. Qu’apporte le contrôle de fin de chapitre ? Est-il plus important que les activités faites en classe ? Avec la lourdeur des programmes et la difficulté à les terminer sur l’année, ai-je le temps de refaire des exercices lors de l’évaluation en plus de ceux traités en classe ? Et de leur faire passer 30 min à faire une évaluation sommative (d’autant que dans mon collège, il est très difficile de remettre les élèves en activité après une évaluation de 30 min, alors qu’il ne reste plus que 10 min de cours) ? Comment dire aux élèves que les erreurs permettent de progresser si on ne peut pas retravailler une compétence qui n’a pas été acquise ? Est-ce que cela correspond au statut de l’erreur que je souhaite véhiculer ? Est-ce que le feedback que mes élèves auront grâce à cette évaluation de fin de chapitre sera pertinent ? Suffisant ? Qu’est-ce que moi je vais pouvoir en faire de ces résultats ? Mes élèves se sentiront-iels en sécurité et en confiance ? C’est tout ce questionnement qui m’a traversée pendant plusieurs mois. Je suis passée par plusieurs intermédiaires, j’ai testé, modifié, fait un pas en avant puis reculé… changé de direction… 

J’ai aussi questionné la place de l’évaluation des connaissances … est-elle indispensable ? doit-elle compter comme un bonus pour ne pas plomber les élèves, dans mon établissement où faire ses devoirs et encore plus apprendre ses leçons est une grosse difficulté ? Là aussi, j’ai expérimenté plusieurs formats, j’ai analysé pour ne garder que le fonctionnement qui avait des résultats les plus satisfaisants. 

  • voilà comment je procède actuellement :
Chaque activité permet de travailler une compétence. Dès que l’élève a terminé, j’évalue le niveau de maitrise et je reporte dans ma grille (voir l’article pour plus de détails). Je donne parfois une aide afin que l’élève reprenne l’activité avec un niveau plus accessible. Dans ce cas là, l’élève valide le niveau correspondant à l’aide donnée (ou moins s’iel a besoin d’une autre aide d’un niveau plus bas).
 
Au fil des évaluations, les élèves progressent (globalement, si je n’avais que des élèves expert.e.s en fin de trimestre ça se saurait !). Lorsque j’ai au moins 2 évaluations pour la compétence, je reporte dans Pronote le meilleur niveau de maitrise obtenu. Si l’élève réalise ensuite une autre évaluation de la compétence, et qu’iel progresse, je modifie sur Pronote. 
 
Pour les évaluations de connaissances, j’ai une compétence “mémoriser”. Les élèves passent tou.te.s une évaluation de 10 min (il y a 3 sujets au choix), une semaine après que nous ayons rédigé la trace écrite collaborative afin qu’iels puissent mémoriser efficacement grâce aux outils à leur disposition (voir l’article dédié). Ils ont la possibilité de refaire cette évaluation une fois en classe quand iels le souhaitent et une 3e voire même 4e fois sur un temps d’étude ou de récréation. Comme pour les autres compétences, je garde le meilleur niveau atteint.   

Travailler en groupe ... mais chacun.e doit avoir compris !

Mes élèves peuvent travailler seul.e.s ou en groupe comme ils le souhaitent. Souvent, on me demande comment je fais pour évaluer le travail de chacun.e dans ces conditions.

Comme me l’avait conseillé Caroline Meyer, une copine de la Team Ludens qui a un fort recul sur le fonctionnement en classe autonome, il est possible de questionner les élèves au moment de valider pour vérifier qu’iels ont compris. J’ai été au delà de cette piste, puisque cela me permet aussi de faire énoncer les critères de réussite par les élèves. Par exemple pour l’étude d’un graphique, je demande à un des élèves ce qu’iel a retenu d’important quand on étudie un graphique. Si l’élève ne me dit pas qu’il faut dire si le paramètre augmente ou diminue en citant des chiffres des 2 axes, c’est qu’iel n’a pas atteint le niveau confirmé. Aussi, je lui explique qu’iel n’a pas vraiment travaillé avec ses camarades. Que si c’était le cas, tou.te.s les élèves du groupe devraient pouvoir lister les essentiels de la compétence.  

Et pour les notes et les examens ?

Pour la question des notes, cela ne pose aucun problème car Pronote offre la possibilité de créer un devoir associé à une compétence et cela attribut automatiquement une note selon les 4 niveaux de maitrise : 0/20 ; 10/20 ; 16/20 et 20/20. Sachant qu’il y a 6 à 10 compétences évaluées, les élèves obtiennent une moyenne significative. 

Avant de découvrir cette astuce Pronote, je remplissais pour chaque élève un document comme ci-dessous :

Pour préparer les élèves aux examens, le DNB en l’occurrence pour mes collégiens, je ne me fais pas de soucis car les attendus sont justement liés à la maitrise des compétences, notamment liées à l’analyse de document et à la démarche scientifique. 

Je n’ai pas de 3ème pour le moment (j’en aurai l’an prochain) mais je me projette parfaitement avec ce fonctionnement pour ce niveau aussi. 

Je vais simplement prévoir une des activités qui sera de type DNB avec une évaluation des compétences du trimestre. Cela permettra à mes élèves de voir s’ils sont prêt.e.s et de se préparer aux attendus de l’examen. 

Et pour celles et ceux qui ont du mal à progresser ?

Je dépose dans l’ENT un point remédiation pour chacune des compétences évaluées. Il s’agit d’un rappel, des essentiels pour la compétence, d’un exercice modélisant où je montre ou explique comment je fais, et d’un exercice d’entrainement. 

(6 commentaires)

  1. Ton travail est extraordinaire. J’ai découvert ton site cet été sur Facebook. J’espère à mon tour contribuer à ce travail. Merci , tu es vraiment inspirante !

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